>>Le noir, c'est flippant [R. Santaro]

C'était le matin. Très tôt le matin. C'était surprenant, mais voilà près d'un quizaine de minutes que l'état d'éveil d'Enzo était atteint. Confortablement installé sous les couvertures, les yeux grands ouverts, il s'étirait doucement. L'humidité de l'air l'avait réveillé, mais il était de bonne humeur, ce matin-là, aller savoir pourquoi. Non, il n'avait couché avec personne la nuit dernière. Non, il n'avait pas bu jusqu'à en oublier son nom. Non, son fix n'était pas encore fait. Aller savoir pourquoi, il était heureux quand même. Enzo avait l'impression d'être au-dessus de toutes les épreuves qu'il avait traversé, les obstacles qu'il avait surmonté et le nombre de gens qu'il avait fait mentir en réussisant dans sa vie. Il appréciait cette cerise sur le gâteau de ses ambitions, ce voyage complètement hors des limites qu'il s'était toujours résigné, soit par obligations, soit par manque de fonds. Aujourd'hui, il avait d'argent et rien de planifié. La liberté, la putain de liberté la plus totale.

Le jeune homme décida de prendre une douche, puis d'aller explorer les alentours de l'hotel en joggant. Ça ne lui était pas arrivé depuis longtemps, depuis qu'il avait remplacé l'adrénaline naturelle par une substance très peu naturelle. Il décida même de ne rien prendre, histoire de voir ce que ça donnerait, ce matin. Se rendant sous la douche, il sentit ses muscles se détendre et renaître sous l'eau chaude qui frappait contre son corps. Il y resta quelques minutes, puis se contenta de se brosser les dents, le rasage, qu'importe, il avait à peine de quoi de plus qu'à ses quinze ans, côté pilosité, alors à quoi bon. Enfilant un jogging et une camisole blanche, il avala un verre d'eau à la va vite, puis fonça dans les marches, les descendant deux à deux, comme il se plaisait à le faire, à 16 ans, à son arrivée à New-York.

Il arriva finalement près d'une plage, mais contrairement à ce que ses yeux étaient habitués, le sable blanc ne s'étendait pas à perte de vue. Les vagues ne mourraient pas sur le sable blanc, mais plutôt sur un sable totalement différent. Le jeune homme, éberlué, s'arrêta, sous le choc. Le sable était noir d'ébène. Enzo Cruz vivait présentement un bouleversement, ne croyant pas possible un sable semblant tant à du charbon. Arrêtant son jogging, il se pencha sur la plage, et prit des grains de sable entre ses doigts.

«Incroyable!»

Parfois, on peut avoir l'air idiot, même à jeun.

Comme chaque matin, Ryan courrait. Sa respiration sifflait dans ses oreilles, il inspirait avec difficulté, mettait un pied devant l'autre, plus vite encore, plus vite. Son corps subissait, et il eut tout d'un coup un vertige, le manque d'oxygène et le surplus d'exercice se faisant ressentir. Le jeune homme força alors un peu l'allure, ne voulant pas faillir, tenant à courir, à se défouler et à donner tout ce qu'il pouvait...
Un nouveau vertige le prit, comme un sentiment de plénitude intense, il était allé au bout de ses limites. Ryan ralentit alors, progressivement, ses poumons se remplissant rapidement d'air, pour l'expirer ensuite, et recommencer. Le brun finit par s'arrêter totalement, et posa ses mains sur ses genoux tout en fermant les yeux. Il se força à jeter un oeil à son chrono, désireux de savoir combien de temps avait-il courut... Il perdait toute notion du temps.
Quarante-six minutes et trente-deux secondes. Quasiment comme d'habitude, peut-être un peu moins mais hier l'alcool avait coulé à flot.

Le jeune homme ravala sa salive, se redressant tout en passant une main dans ses cheveux pour les discipliner. Il se mit à marcher, comme par automatisme presque... Après un jogging, il ne fallait pas s'arrêter sec, il fallait plutôt laisser à l'organisme le temps de récupérer.
Le matin était le seul moment de la journée où il pouvait s'adonner à ce plaisir. A partir de huit heures, il devait aller donner ses cours au lycée de Santorini, et après, tout s'enchainait : cafés, sorties entre amis, soirées en boite, à rechercher l'âme soeur pour un soir... Oui, le matin était définitivement le bon moment. De plus, il n'y avait personne, les plages étaient vides... Sauf la plus populaire où il restait parfois quelques junkies qui, à six heures du matin recommençaient juste à redescendre de leurs trips. Voila pourquoi Ryan préférait aller s'adonner aux joies du sport sur les deux autres plages de l'ile.

Cependant, ce matin ne serait pas comme les autres... La plage n'était pas déserte. En effet, Ryan, en relevant la tête, aperçu un jeune homme qui apparemment était émerveillé par le sable noir. Il y avait de quoi, lorsqu'on était un simple touriste. Le sportif s'avança doucement vers l'autre homme, le souffle encore court par ses quarante minutes de footing

"C'est beau, n'est ce pas ?"

Sa remarque était plus une affirmation qu'une question même, mais quoi de meilleur pour lancer une conversation ?

[Fallait te dire, ton kit, l'est vraiment bien Razz

]

Courrir, courrir, comme s'il fuyait tout. La came, son passé, sa dépendance à l'alcool, la caféïne et les jolies demoiselles. Il joggait, pour ne pas s'affaler sur le sol. Même l'envie de consommer avait été absente ce matin, remplaçant l'héroïne par une dose d'adrénaline. En quittant l'hôtel, il avait courru, sprinter, jusqu'à ce qu'il manque s'affaler, son coeur battant à tout rompre jusque dans ses tempes. Il avait finalement calmer la cadence quelques instants plus tard, sentait encore l'adrénaline battre dans ses veines et parcourir son sang plus rapidement que la plus pure des cames. Enzo Javier Cruz avait toujours été un battant, déterminé, et ambitieux. Il n'avait pas quitté l'Espagnol par gaité de coeur, surtout pas en laissant Eulalie derrière lui, mais pour réussir là où il en aurait l'occasion. Depuis, il fuyait la responsabilité qu'il avait abandonné à Madrid pour se lancer dans une carrière qui entraînait sur lui dépendance sur dépendance. Pourtant, il adorait son métier, le sport le passionnait, le fascinait depuis si longtemps. Il enviait le talent de son jeune frère, mais pratiquait le foot pour le plaisir. Un pur plaisir.

Drôle de coïncidence que son premier reportage et analyse se fit sur une partie de foot, là-bas, aux États-Unis. Enzo parcourait le pays entier pour commenter des évènements, tous mordus de ses analyses précises et de ses prédictions qui s'avérait plus souvent qu'autrement exacte. On disait que ce petit gars l'avait dans le sang, le sport. En autre, à côté des résidus de poudre et des dernières traces de l'alcool de la veille. Étrangement, ça n'avait pas encore atteint le jeune homme physiquement, peut-être à cause qu'il était robuste et en forme, au top de sa forme même. Parler des sports avec les yeux brillants et les mots qui se bousculaient dans sa bouche ne faisait qu'attiser son envie de les pratiquer. Le lacrosse, il en était devenu un excellent joueur, le base-ball, il ne s'en passait plus. Ce n'était que des exemples, mais commentateur sportif était le meilleur moyen de tenir la forme pour le jeune homme.

Pourtant, le voilà en vacances. Ses premières depuis quatre ans. Les premiers jours, il avait rencontré une fille, pas n'importe laquelle, une qui lui plaisait vraiment. Il n'avait même pas pensé une seule seconde à aller plus loin qu'un simple baiser suite à la première soirée qu'ils avaient passé à bavarder encore et encore. Lena Kostas. Une jolie entrepreneuse native de Santorini. Enzo était subjugué par son charme et la confiance qui émanait d'elle. Maintenant, le voilà sur une plage de sable noir, comme le charbon. Il n'avait pas pu s'empêcher de prendre ces grains et les laisser filer entre ses doigts. Légèrement essouflé, il n'entendit pas quelqu'un s'approcher, et sursauta presque en l'entendant.

«C'est incroyable, comment est-ce possible?»

Enzo n'avait jamais cru possible pareil spectacle. Se retournant vers le jeune homme, qui semblait être conscient de la beauté des lieux, mais beaucoup moins surpris, il eut un sourire fin, puis passa la main dans ses cheveux, un brin gêné.

«Ça doit vous paraître idiot, vous qui le côtoyer souvent, je me trompe?»

[ Merci ! Et désolé du retard, mais j'étais occupée à bloquer mon lycée & à être malade ^^' Toute une vie ! xD ]

L'étranger paraissait visiblement bien surpris de la couleur de ce sable... et pourtant. Il y avait plusieurs plages de cette même couleur, notamment en Guadeloupe. Ryan se rappelait encore de ce court voyage avec sa mère, où ils avaient visité la plage de la Grande Anse. Un des seuls moments où ils étaient vraiment heureux, loin des problèmes financiers, loin de l'absence d'un père ou d'une Amérique désolante. Peut-être était-ce pour cela qu'il préférait cette place à une autre, pour sa couleur... Cela lui rappelait tellement de souvenirs agréables. Ici, il pouvait respirer à nouveau et retrouver ses anciennes racines, par le biais de la mémoire d'un simple voyage. Il aimait voyager, indéniablement.

"Débile, non pas du tout... Normal, plutôt. C'est surprenant la première fois qu'on voit une plage de sable noir."

répondit-il sur un ton humble, ne parlant pas trop fort cependant, comme s'il voulait préserver la pureté et le silence de cet endroit

"Il y en vérité une explication à cette couleur. Les plages de sable blanc sont dues aux résidus de coraux, tandis que les plages de sables noir sont dues aux résidus volcaniques. T'as déjà vu un basalte non ? Cette roche de lave refroidie, tu sais. Eh bien, c'est en partie du basalte, ce sable..."

expliqua-t-il le plus clairement possible. Cela n'était pas dû à Dieu, ni même à un quelconque phénomène physique magique. Non, c'était scientifiquement explicable..

Il n'avait jamais crû à la magie ou à la religion, et encore moins aux horoscopes. Non, Ryan ne croyait qu'en une chose : la science. Tout ce qui avait été prouvé scientifiquement devenait irréfutable pour lui. Bien sûr, il restait des théories qui pouvaient être démontées par une simple découverte, mais tout de même : qui croyait encore à la création de ce monde par Dieu, en sept jours ?

"Ryan Santaro, au juste. Vous êtes ici pour des vacances donc ? C'est un coin sympa, vous ne devriez pas regretter !"

assura-t-il poliment.

Après tout, ce coin était ensoleillé, reculé mais pas isolé, parfait pour s'amuser, bronzer et se relaxer... Quand il pensait que lui vivait ça tout les jours. C'était jouissif de se dire que sa vie serait des vacances perpétuelles... Il aimait bien Santorini et n'était plus certain de vouloir repartir pour continuer son tour du Monde... Peut-être plus tard, dans cinq ans, lorsqu'il se serait lassé de cette vie de plaisir... qui sait.

Non, aussi loin qu'il s'en souvienne, Enzo Javier Cruz avait toujours cru que le plus beau des sables était celui doré, fin et reflétant le soleil avec parcimonie, permettant aux usagers de ces plages privilégiées de marcher sans se brûler le dessous de la plante des pieds. Jusqu'à aujourd'hui, la plage de Madrid avait toujours été celle qui faisait vibrer encore son âme par son secret (c'était bel et bien un coin que ne connaissait que les résidents), sa clarté et sa mer sans fin, qui offrait un horizon d'eau turquoise à perte de vue. Voilà que celle-ci bouleversait un peu ses idées. Bien entendu, Madrid reste Madrid, sa terre natale, là où les siens résident et vivent, survivent, mais respirent, mangent et dorment. Enzo releva la tête vers le jeune joggeur et lui sourit. Il fut tout de même soulagé de ne pas se faire qualifier aux premiers abords d'ignorant, car il n'en était pas un. Certes, Enzo n'avait pas la prétention de dire tout connaître, mais il avait certainement une culture digne de mention.

Santorini était un endroit majestueux, rempli de secrets et d'endroits qui n'attendaient que lui pour les découvrir. Laissant la totalité du sable noir filer entre ses doigts, Enzo écouta les paroles du garçon, encore légèrement essouflé par l'effort. Son ton humble prouvait qu'il ne semblait pas se penser au-dessus du simple touriste qu'était le monsieur Cruz.

«Surprenant, c'est le mot juste.»

Se remettant sur ses pieds, et passant la main dans ses cheveux, son interlocuteur continua, clarifia l'explication au pourquoi du comment de cette couleur. Enzo fut ravi d'en apprendre un peu sur ce phénomène, et ne fut pas avare de remerciement à l'égart du jeune homme qui semblait avoir une culture solide.

«Extrêmement intéressant, tout ça. Vous vous intéressez à la géologie, ou ça fait partie d'une palette de connaissances diverses?»

Enzo était intrigué. Personnellement, il n'avait jamais entendu le terme de balsalte, et hocha à la négative la tête. Ayant peu d'intérêt pour les cours, l'Espagnol écoutait cependant les professeurs qui parlaient de leurs récits, de faits et d'informations multiples sur divers phénomènes sur Terre. Le jeune homme fut donc amusé par la ressemblance du jeune homme avec l'un de ses professeurs il y a plusieurs années. Même genre de calme, de sérénité et de quiétude, un berceau de connaissance et l'étalant humblement et adorant partager son savoir. Son interlocuteur se présenta l'instant d'après, et l'Espagnol répondit, lorsque Ryan eut terminé.

«Enzo Cruz, et effectivement, je suis en vacances. Mes premières vacances, même, et j'ai déjà la certitude d'avoir mon lot d'anecdotes à me rappeler de Santorini.»

Il marqua une pause, puis continua.

«Vous venez d'ici, je veux dire, vous vivez ici?»

Ryan rit un peu lorsqu'Enzo lui demanda s'il était géologue... Oh non, loin de là. Il avait une image assez stéréotypée des géologues : petits, avec une bonne brioche et d'inévitables lunettes noires à la Harry Potter. Le plus pitoyable homme qu'il soit sur la planète donc, et en tout cas bien dénué de classe. Non, Ryan était un jeune homme distingué, et dont la physionomie était loin de celle d'un banal scientifique coincé sur son fauteuil à longueur de journée..

"Une palette de connaissances diverses, je ne dirais pas cela... Ca ferait un peu trop présomptueux. Une simple recherche sur internet a suffit."

répondit-il avec simplicité, sur un ton calme et posé.
Il était toujours comme ça après avoir couru. L'euphorie que lui procurait un bon jogging se dissipait, et il devenait stoïque, comme un fumeur qui venait d'assouvir son besoin en savourant une cigarette relaxante.
Le jeune homme glissa une main dans sa poche, le dos bien droit et l'air fier.

Enzo lui expliqua que il venait d'arriver en tant que touriste et cela ne surprit pas le brun, qui eut un sourire lorsque son interlocuteur lui annonça qu'il avait déjà des souvenirs impérissables de cette petite ile

"Vous verrez, cette liste ne fera que s'agrandir. L'ambiance est tellement bonne ici,... impossible de ne pas s'amuser."

assura-t-il, sûr de lu

"Et oui, je vis ici. Je suis professeur au lycée de Santorini... Un boulot sympa qui me laisse beaucoup de temps libre, le truc parfait en gros !"

Il sourit de plus belle en pensant à son activité. Le professeur qu'il était croyait dans les vertus du sport pour remettre certains élèves sur la bonne voie, et tout en étant strict il était plutôt populaire. La jeunesse mais surtout son physique aidaient beaucoup à cela, surtout chez les filles qui étaient toutes folles de lui... Jamais il ne se laisserait avoir par l'une d'elle cependant, or certaines étaient bien fourbes et prêtes à tout pour coucher avec leur professeur de sport. Lorsque l'on y pensait, c'était assez sordide, mais Ryan ne se gênait pas pour remettre à leurs places celles qui allaient trop loin dans le niveau du privé. Souvent elles lui posaient des questions déplacées, mais il ne prenait même pas la peine de répondre - cela ne les renforcerait que plus dans leur petit jeu

"Sinon, d'où êtes vous si ce n'est pas trop indiscret ? ... Et vous avez des amis ici pour avoir opté pour cette jolie ile ou c'était pioché sur la carte au hasard ?"

demanda-t-il poliment, avec assez de distance cependant - Ryan était loin d'être un jeune homme indiscret.

» Ryan Santaro *
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